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Le manifeste

MANIFESTE (JUIN 1919)

Une nouvelle association est née : celle des écrivains combattants. Ces temps difficiles inspirent et nouent, de tous côtés, les unions corporatives. On ne s’étonnera pas de découvrir la nôtre.

Si étrange que cela paraisse, la guerre nous a, pour toujours, dépouillés de violence. De nombreux écrivains combattants reviennent désorientés, essoufflés, douloureux. Une lutte affreuse de cinq années a marqué ceux-là ineffaçablement. Ils subissent, à présent, les assauts des égoïsmes et de la ruse, sans une réaction rapide et décidée. Ils n’ont pas regagné encore l’énergie, hier si généreusement dispensée.

C’est en nous groupant que nous retrouverons notre ardeur et notre force, intactes.

Il faut qu’on le sache : notre destinée n’est pas accomplie.

Pour prendre notre part de péril et de douleur dans cette guerre, nous avons abandonné nos ambitions, nos biens, nos joies. Nous avons établi que les hommes de pensée sont, souvent, des hommes d’action, que l’intelligence est parente de l’énergie, du courage et de l’abnégation. Nous ne sommes pas restés insensibles aux clameurs de détresse qu’on poussait autour de nous. Les travaux de l’esprit faisaient, au plus grand nombre d’entre nous, une santé fragile et languissante. Nous nous sommes dressés, cependant, aussi impitoyables que les plus robustes.

***

Certes, nous ne songeons pas à nous vanter de ces actes que les plus humbles ont dû accomplir. Nous ne nous glorifions pas de nos blessures, alors que d’obscurs paysans et des ouvriers furent frappés.

Mais, après ces années de fatigue, d’angoisses et de tortures, nous voulons reprendre notre place dans la société.

Voici des foyers appauvris ou décimés. Voici que l’oubli où nous avons été, cinq ans, relégués, épaissit ses ténèbres. Qui ne sera remué par la justice poignante de notre cause ?

On nous croit des violents repentis, chancelants. On ne nous craint plus. La campagne menée contre les écrivains et les livres de guerre en témoigne. Elle dévoile les intentions odieuses de ceux qui, en notre absence, ont pris nos places et, par surcroît, insultent à nos ferveurs, veulent nous repousser à la misère et à l’ombre.

Mais, arrachons-nous à ces préoccupations humiliantes. Elevons le débat. Redisons à ceux qui s’obstinent à l’ignorer : cette guerre, malgré son horreur et justement à cause de cette horreur, est l’événement décisif, l’axe frémissant de toute l’histoire humaine. Cette guerre atroce a augmenté la conscience. Elle a illuminé l’âme. Elle a changé la face du monde. Elle nous élève, irrésistiblement, à l’idéal de justice et de vérité que nous attendions. Elle élance la pensée d’avenir et, plus simplement, toute pensée. Et c’est nous combattants qui avons été, sur le front, les créatures suppliciées du nouvel évangile, les thèmes originaires d’une intelligence plus digne, plus généreusement inspirée.

Nous ne voulons pas que nos camarades de lettres qui se sont dévoués à cette tâche tragique et splendide s’égarent dans de nouvelles tempêtes. Nous n’avons perdu que trop des nôtres à la guerre. D’autres nous sont rendus diminués, mutilés. Nous nous unissons pour relever tous nos frères douloureux, dispersés sur les routes du retour et nous nous unissons pour que notre idéal soit enfin prononcé.

Notre fraternité ardente, nouée sur le front, continue. Nous tendons nos bras à tous les écrivains combattants de l’Armée française, quelles que soient leurs opinions littéraires, politiques ou religieuses. Nous formons une association purement professionnelle. Pour nous aider et nous défendre les uns et les autres, nous saurons déployer toute notre force, réconcilier tous nos élans.

Ce qui nous inspirera ? Une générosité toujours en mouvement. Ce qui nous guidera ? L’oubli de soi-même qui oblige à penser plus activement aux autres.

Dans l’atmosphère retrouvée du front, cette atmosphère naturelle à toutes les abnégations, les appels de nos camarades seront enfin entendus.

On nous a appris là-bas qu’avant d’entreprendre des opérations à grande envergure, il en faut exécuter plusieurs à objectifs limités. Nous veillerons donc d’abord à ce qu’ils ne soient plus écartés des postes qu’on leur doit. Ils pourront revivre. Aux yeux de tous, leurs travaux brilleront de l’éclat qu’ils méritent.

Et cette hostilité inavouable, mais agissante, que nous sentons chez nos remplaçants qui n’ont pas combattu, sera brisée par notre bataillon rassemblé.

Qu’on se rassure toutefois. Nous avions donné tout de nous-mêmes : le talent et l’âme. Nous ne pouvons reprendre ces offrandes. Le masque du renoncement s’est trop bien collé à notre visage. Toute entreprise généreuse trouvera toujours en nous des soldats. Nous ne nous abaisserons plus à des luttes indignes. Comme nous avons été purs pendant la guerre, nous demeurerons purs pendant la paix. Nous aimons à constater qu’on nous doit quelque chose, alors que nous ne devons rien.

Nous voulons ce pourquoi nous nous sommes battus : le droit. Notre solidarité saura l’obtenir.

A un monde qui semble s’organiser rationnellement, nous nous présenterons étroitement unis, le regard droit, confiant, assuré, les mains serrées, bien serrées.

Henry Malherbe, président ;
José Germain, vice-président ;
Jacques Boulenger, vice-président.